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Les auteurs de SFFFH ont du talent

Participation à l'opération : 

les auteurs de SFFFH francophone ont du talent

 

 

 

Du 1er novembre au 1er décembre 2014, la communauté "l'invasion des grenouilles" propose aux auteurs francophones de SFFFH (Science-fiction, Fantasy, Fantastique et Horreur) de livrer sur leur site un extrait de leur roman. Après moult réflexions, je me suis dit que je pourrais également participer, bien que je ne sois pas publiée pour ce roman.

 

Intitulé le Prince des Hydres, il s'agit du premier volume de la trilogie le Sang d'Evalan. Il en est question dans le sujet "autres projets").

 

Merci à tous ceux qui passeront par là, et n'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé par ici, ou via la page Facebook. A votre guise !

 

Chapitre 1 - Le Prince des Hydres (low fantasy)

L’après-midi touchait à sa fin. Cédant la place à une obscurité toujours plus épaisse, le soleil poursuivait sa course vers l’horizon qui, peu à peu, se parait d’incroyables couleurs. Les ombres des arbres, telles les mains menaçantes de la nuit, s’étiraient lentement sur le parc, prêtes à s’emparer des trois enfants qui couraient dans l’herbe. La température chutait et les badauds, déjà peu nombreux de jour, avaient depuis longtemps déserté les lieux pour retrouver la chaleur de leurs foyers.

 

Furtive, une petite silhouette glissa derrière les hêtres et les bouleaux.

 

— Par les météores de Pégase !

 

Le garçon qui avait crié ces mots se cacha rapidement pour ne pas être vu.

 

— Rends-toi tout de suite, Chevalier Noir !

 

— Jamais ! répondit une autre voix d’enfant, non loin de là.

 

Daniel profita de la protection d’un tronc plus épais que les autres avant de s’engager le long d’une haie de troènes. Muni d’un bâton de bois mort en guise d’épée vengeresse, il comptait bien pourfendre son ennemi et gagner une nouvelle partie.

 

— Tu ne m’attraperas pas ! cria l’autre.

 

Cédric, le Chevalier Noir, attrapa alors la belle princesse Isabelle, qui poussa un hoquet de surprise et se laissa entraîner à l’abri du bosquet. Dans l’espoir de ne pas se retrouver face à Daniel, dont il ne comptait plus les victoires et les agaçantes exclamations de joie, le garçon prenait soin de rester caché. Cette fois, il avait un otage. Et la chance continuait de lui sourire : en face de lui se trouvait la cachette idéale pour échapper au regard affûté de son ami !

 

— J’ai Isabelle ! Sors de ta cachette et je ne lui ferai pas de mal !

 

Mais la main d’Isabelle lui échappa avant qu’il n’atteignît son refuge. Intimidée par une brusque secousse dans les branches, elle avait interrompu leur course et observait les alentours avec une crainte manifeste.

 

— Viens ! susurra-t-il à la fillette.

 

Cédric lui tendit la main mais elle s’éloigna du bosquet et se réfugia au pied d’un réverbère, dont l’ampoule grésillante s’allumait à peine. L’obscurité du bosquet et les craquements incongrus qui lui parvenaient l’incitaient à reculer plus encore, mais elle ne pouvait s’en aller seule et dans la pénombre vespérale. Partagée entre son désir de fuir et son besoin de rester auprès de ses amis, elle opta pour la relative sécurité du réverbère clignotant ; assez loin pour apercevoir une éventuelle menace, assez près pour deviner la position de Cédric et Daniel.

 

Dissimulé derrière un arbre, Daniel entendit les pas précipités d’Isabelle et l’aperçut, les bras serrés contre la poitrine. De toute évidence, elle s’inquiétait et les cherchait du regard.

 

— La Princesse est sauvée, s’écria-t-il victorieux, rends-toi !

 

— Tu rêves ! cria Cédric depuis l’autre côté.

Il se jeta à l’abri d’un épais buisson dans un bruissement de feuilles caractéristique. Hésitante, Isabelle amorça un pas dans leur direction, mais les garçons avaient déjà oublié sa présence et ne s’intéressaient plus à son sort : seul gagner importait.

 

Le vent se leva. D’abord faible, il agita bientôt les branches avec force et agrémenta leur jeu d’une ambiance inquiétante. Concentré, Daniel ignora le bruit parasite et tendit l’oreille. Il était hors de question de manquer le moindre des faits et gestes de Cédric : le Chevalier Noir ne lui échapperait pas plus cette fois que les précédentes !

 

Il envisagea le meilleur angle d’attaque. De face, il ne ferait pas le poids : plus trapu que lui, son ami avait l’avantage au corps à corps. Mieux valait éviter l’affrontement direct et le surprendre. S’il contournait sa position, il aurait tout loisir de lui enfoncer le bâton entre les omoplates… Il jubila à cette idée. Une victoire implacable se profilait, comme à l’accoutumée.

 

À mille lieues de ces réflexions, Isabelle observait les nuances du ciel avec appréhension. La nuit approchait. Peu à peu gagnée par le froid et sa peur irrationnelle de l’obscurité, elle tentait d’apercevoir ses amis, mais chacun d’eux ne songeait qu’à échapper à la vigilance de l’autre. Ils s’étaient mêlés aux ombres effrayantes qui s’étendaient sur le parc et les arbres, grands et fiers, devinrent de noirs fantômes dont les chaînes de feuilles frottaient les unes contre les autres. Elle étouffa un cri lorsque le vent siffla sa colère, puis trépigna d’impatience. Le jeu ne l’amusait plus. Les craquements des branches mêlés à ceux provoqués par ses amis la terrifiaient et bientôt, la nuit les étoufferait de leur noirceur. Saisie par la panique, elle leur hurla de la rejoindre.

 

… et n’obtint aucune réponse, bien sûr.

 

— Ce n’est plus drôle, ajouta-t-elle entre ses mains en porte-voix. Il faut rentrer !

 

Elle réitéra inlassablement ses appels. L’autorité de sa voix, renforcée par la peur, se mua de plus en plus en supplique, et Cédric céda.

 

Excédé, Daniel soupira rageusement : son ami venait de lui ôter une victoire à portée de main. Quelques minutes de plaintes avaient suffi pour lui faire renoncer à la meilleure partie de cache-cache de toute leur courte vie ! Le pouvoir d’Isabelle sur son ami l’exaspérait, mais il comptait bien le leur faire comprendre : ah çà non, il ne se montrerait pas aussi facilement !

 

— Daniel ! Il commence à faire nuit ! insista-t-elle. Sors de là, il faut que je rentre ! Papa va s’inquiéter.

 

Ce brusque rappel à la réalité lui fit l’effet d’un coup de poing dans le ventre : Daniel avait totalement occulté l’épineux problème des parents. Un bref regard à sa montre lui indiqua qu’ils auraient dû rentrer depuis bien longtemps ; mieux encore, ils auraient dû rester sous la responsabilité de Maurine, sÅ“ur aînée de Cédric et nounou à ses heures.

 

 

Plusieurs fois, Maurine avait dû courir dans le centre ville pour retrouver les enfants. Non pas qu’elle ne fût pas fiable, mais les trois garnements dont elle avait la charge avaient pris l’habitude et le malin plaisir de la défier en profitant de la moindre distraction pour s’enfuir. Il arrivait donc à l’adolescente de les perdre de vue, mais ses mésaventures lui avaient appris à connaître les endroits favoris des enfants. Elle finissait toujours par les retrouver, et les enfants éprouvaient de plus en plus de difficultés à lui glisser entre les doigts. Toutefois, Daniel ne manquait jamais d’idées.

 

Il fallait juste trouver la bonne distraction.

 

Elle avait cette fois pris l’allure d’un binoclard à l’allure dégingandée, ennuyeux à mourir et officiel petit ami de leur nounou. L’après-midi, qui avait si bien commencé, tournait à vau-l’eau. Dès leur première rencontre, Daniel avait ressenti pour lui une aversion irrépressible et inexplicable, partagée par ses deux amis. Tout naturellement, les trois garnements s’étaient donc rassemblés pour échafauder un plan. Comment faire fuir l’intrus de manière rapide et efficace ?

 

Après avoir dégoté quelques ballons dans le fond de la poche de Cédric, souvenirs oubliés de son anniversaire, ils s’étaient aventurés près de la fontaine et avaient créé une panoplie de bombes à eau faites maison. Leur efficacité s’avéra redoutable : une seule avait suffi pour chasser l’indésirable. Outrée, Maurine avait hurlé à leur adresse, levé le poing en jurant qu’elle les écharperait si elle leur mettait la main dessus, qu’ils regretteraient d’avoir fait ça, qu’ils seraient punis à vie une fois rentrés… puis elle avait vite révisé l’urgence d’une correction lorsque le petit ami, trop souvent humilié par les trois démons en culotte courte, avait abandonné la partie et pris le chemin du retour, en colère contre Maurine et trempé de la tête aux pieds.

 

Le plan, ironiquement intitulé Fuite du binoclard, avait été un franc succès ! Ils en avaient d’ailleurs ri de longues minutes après avoir couru jusqu’au parc où, enfin, ils avaient pu entamer leurs jeux préférés loin des yeux inquisiteurs de leur baby-sitter.

 

 

Toujours dissimulé derrière son arbre, Daniel osa un furtif regard à ses deux amis. Cédric observait les alentours avec attention, Isabelle serrait les bras contre elle, apeurée.

 

Il faut dire aussi qu’Isabelle avait peur du noir. Elle avait également peur des animaux, les insectes particulièrement, et de ceux qui couraient ou volaient dans le parc. Du vide, des grandes personnes et des pavés dans la rue qui faisaient mal quand on tombait. Elle avait peur quand on criait trop fort ou quand on la surprenait, quand elle rencontrait quelqu’un qu’elle ne connaissait pas… et la liste s’allongeait sans cesse, interminable. Isabelle avait peur de tout, et pourtant elle suivait les deux garçons comme leur ombre. Jamais personne n’en avait compris la raison ni réussi à l’en dissuader, car si Cédric avait endossé le rôle du protecteur, Daniel s’était engagé sur une voie totalement différente.

 

Volontiers provocateur, il s’amusait beaucoup des frayeurs de son amie. Il ne comptait plus les fois où il s’était balancé à une branche d’un seul bras ni celles où il avait grimpé plus haut qu’à l’ordinaire devant le regard terrorisé de la petite fille. Le seul moyen pour lui de se racheter était alors de lui dégoter, non sans une certaine fierté, l’œuf d’un oiseau ou un nid abandonné pour le lui présenter comme un merveilleux trésor. L’imagination débordante, il lui contait alors avec emphase les innombrables périls qu’il avait affrontés pour récupérer son fabuleux butin. Émerveillée, Isabelle étudiait sa trouvaille auprès de lui durant le reste de la journée et Cédric, jaloux, saisissait l’occasion pour bouder ses amis.

 

La présence de la petite fille parmi eux avait été bien perçue par leur entourage : sa prudence maladive freinait parfois leurs idées les plus hardies. Mais pas toujours.

 

— Daniel, ça suffit maintenant, il commence à faire froid ! lança Cédric d’une voix angoissée.

 

De mauvaise grâce, Daniel quitta son refuge et se dirigea vers ses amis, qui le rejoignirent à mi-chemin.

 

— Tu aurais pu sortir avant !

 

— Vous auriez au moins pu me chercher, rétorqua Daniel, le nez levé. Si quelqu’un m’avait kitmappé, vous n’auriez même pas essayé de me retrouver ?

 

Cédric et Isabelle échangèrent un regard perplexe.

 

— Si quelqu’un t’avait… quoi ?

 

Daniel haussa les épaules, puis secoua la tête.

 

— Laissez tomber. On rentre ?

 

Alors qu’ils acquiesçaient, un mouvement dans le bosquet derrière eux attira leur attention. Isabelle attrapa le bras de Cédric, qui rougit jusqu’aux oreilles.

 

— Ça doit être par ici, dit une voix nasillarde.

 

— J’ai des doutes sur ta faculté à retrouver ta route, Elwin, répondit une autre, plus stridente.

 

Les intonations inhabituelles, le phrasé imparfait, à mi-chemin entre grommellement et grognement, les interpellèrent. Les enfants échangèrent un regard surpris et, alors qu’Isabelle et Cédric paraissaient prêts à déguerpir en quatrième vitesse, la curiosité de Daniel l’attira vers les étrangers. Isabelle tenta de le retenir sans y parvenir.

 

— Je ne suis peut-être pas aussi efficace qu’un Hydre, mais je reconnais cet arbre. C’est celui que j’ai aperçu en arrivant.

 

Un petit bruit sec retentit, suivi d’un grognement bestial qui les fit tous sursauter, sans exception. Une rafale de vent les frappa et secoua les branches avec rudesse, leur vacarme aussitôt suivi d’un silence inquiétant.

 

— Tu oses me frapper ?

 

— Tous ces arbres sont les mêmes, Elwin ! Comment le Rouge a-t-il pu croire que tu me serais d’une quelconque aide dans cette mission ?

 

Les enfants assistaient à l’échange en silence. Les êtres qui grognaient demeuraient cachés dans le bosquet. Remis de sa surprise, Daniel poursuivit sa route et s’éloigna de ses amis paralysés par la peur.

 

— Nous allons déjà nous prendre une rouste en rentrant bredouilles de ce voyage, alors n’en rajoute pas !

 

— Qui pouvait deviner qu’il y avait tant d’enfants ici ?

 

— Ferme-la et cherche le Pont ! Si on ne le trouve pas à temps, tu sais ce qui nous attend !

 

À deux pas de voir les mystérieux individus, Daniel sentit qu’on tirait sur son t-shirt. Il se retourna et aperçut Isabelle, qui en dépit de sa peur, l’avait suivi jusque-là.

 

— Allons-nous-en, susurra-t-elle. J’ai peur. Ils parlent bizarrement.

 

— Tu as entendu ? dit l’un d’eux.

 

Daniel se figea et posa un doigt sur sa bouche. Isabelle parut plus anxieuse encore et, tandis qu’elle se tournait vers Cédric, Daniel se dégagea de ses mains.

 

— Trouve le Pont au lieu de t’effrayer du vent !

 

Un nouveau grognement de rage fit tressauter le cœur de Daniel. Mû par un sentiment qu’il ne connaissait pas encore, il continua à approcher, aussi souple qu’un chat. Sans un bruit, il se réfugia sous le couvert d’un arbuste pour observer les deux mystérieux personnages sans être vu. Après une dernière manœuvre, il put enfin apercevoir leurs silhouettes.

 

Le soleil n’éclairait peut-être plus l’endroit de manière suffisante, mais Daniel devina tout de suite que les créatures qui discutaient là, immenses, trapues, différentes du commun des mortels, n’appartenaient pas à la race humaine. Cette réalité l’ébranla. Choqué, il ne bougea plus et les observa, incapable d’en croire ses yeux.

 

— Je ne le trouve pas, s’énerva la voix nasillarde.

 

Un soupir exaspéré suivit.

 

— Mais quel idiot m’a forcé à t’accompagner ?

 

— Je doute que le Rouge soit ravi de se faire traiter d’idiot… marmonna le premier, le ton empli de menaces.

 

— Si nous le revoyons un jour.

 

Quand l’une des créatures tourna sur elle-même, Daniel eut le sentiment que son sang se glaçait. Tout le long de ce qu’il devinait être sa colonne vertébrale, des pointes effilées saillaient en une crête mortelle. Son cœur se mit à battre plus fort, si fort qu’il commença à craindre d’être entendu.

 

— Dois-je te rappeler que si nous nous attardons, ce voyage sera pour nous un aller simple ? continua-t-il.

 

— En quoi est-ce censé m’aider ?

 

L’autre grommela des mots incompréhensibles, avant d’être coupé.

 

—  Tiens, le voilà !

 

Ces dernières paroles se mêlèrent à celles, identiques, de Maurine. En l’entendant, les silhouettes se retournèrent brusquement puis se fondirent dans les ténèbres. La seconde suivante, l’adolescente écartait les branchages où s’était tapi Daniel et l’attrapait par le col pour l’en sortir de gré ou de force.

 

Isabelle frissonnait et Cédric, à ses côtés, n’en menait pas large. À leur décharge, il faisait bientôt nuit et aucun d’eux n’avait prévu la venue de véritables monstres. Quand bien même c’eût été le cas ! Même Daniel, si prompt à fanfaronner d’ordinaire, ne jouait plus les durs. Après ce qu’il venait de découvrir, la peur et le froid lui arrachaient de violents frissons. Son cerveau en ébullition affrontait pour la première fois un évènement imprévisible  et il ne cessait de se demander s’il ne venait pas de subir une hallucination. Il laissa donc Maurine le tirer vers les autres sans protester.

 

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